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Une traversée du nord de la Martinique, du jardin de Balata à Anse Couleuvre par l’impétueuse Montagne Pelée (1396m)

Notre projet était de visiter à pied le nord de la Martinique à partir du sentier de grande randonnée GR M1. Nous sommes donc partis du jardin de Balata (joignable avec le bus n°25) dans la proche périphérie de Fort de France et de l’ancienne station thermale d’Absalon pour rejoindre en 5 jours de marche l’anse Couleuvre dans la commune du Prieuré sur le littoral plus au nord. Nous avons donc eu besoin de 4 étapes qui globalement nous ont permis d’aboutir le premier soir tout près du Morne Rose puis le lendemain à Morne Vert, puis à Morne Rouge à l’auberge de la Montagne Pelée et enfin Grand Rivière au bout de la route, un peu au bout du monde pour terminer finalement à Saint-Pierre et admirer la Montagne Pelée qui se sera dévoilée dans son intégralité finalement.

Photo 1: Depuis la plage de Saint-Pierre, vue sur la Montagne…

Cela faisait des années que je voulais aller voir et visiter la Montagne Pelée, depuis mon séjour au CHU de Fort de France, à la fin de l’année 2000, seul endroit avec l’aéroport que je connaissais alors finalement de l’île. Je descendais quotidiennement avec mon fauteuil roulant puis mes béquilles dans le hall d’entrée de l’hôpital pour voir la photo affichée de la fameuse montagne.

Le sentier de grande randonnée évoqué est bien indiqué, et ce de manière rigoureuse sur la carte IGN Top 25 Fort de France Montagne Pelée PNR de la Martinique (2020 pour notre édition). Mais sur le terrain, il ne faut pas s’attendre à un itinéraire balisé comme on peut l’avoir à l’île de la Réunion ou ailleurs en France. Seulement certains tronçons sont bien renseignés, les plus fréquentés comme la Montagne Pelée depuis le parking de l’Aileron ou l’étape entre Grand Rivière et Anse Couleuvre. Dans d’autres portions, seules les directions à prendre seront indiquées au carrefour par des pancartes, parfois quelques rubalises posées ic ou là… Dans ce cas-là, honnêtement cela suffit. Il y en a en effet qu’un seul sentier et il est assez difficile de se perdre, d’autant plus qu’une signalétique trop importante pourrait transformer le sentier en parc d’attraction. Il en est ainsi entre Absalon et Morne Rose et entre la route forestière de Caplet (au pied du Morne Modeste) et Fond Saint-Denis. Par contre de nombreux tronçons, comme le passage du col Yang Teng depuis Fonds Saint-Denis, sont laissés à l’abandon et la nature a tôt fait de les recouvrir par une végétation dense qu’il nous aura fallu ouvrir à coup de multiples coups de bâton de marche afin de se frayer un chemin et de faire peur à d’éventuels serpents pour le moins dangereux. Le trigonocéphale a de quoi en effet faire peur… Nous n’en aurons pas vu mais on peut légitimement se demander pourquoi l’ONF et les collectivités locales n’entretiennent pas ces sentiers. Plusieurs personnes que nous avons rencontrées en route nous disaient qu’il ne fallait pas aller par ces chemins, qu’eux-mêmes ne les fréquentaient plus par peur des serpents. Alors je n’encouragerai personne en l’état actuel à parcourir cet itinéraire, même si j’ai beaucoup aimé la Martinique. Ceci n’est pas un guide mais juste un récit de notre expérience. De plus, ces parties ne sont donc pas du tout balisées, ni pancarte, ni peinture, et il peut être hasardeux de trouver son chemin comme ce fut le cas entre le Morne Covin et le Canton Suisse sur la commune de Morne Vert, où nous avons hésité une bonne heure. Mais il faut remercier la précision des cartes IGN tout en sachant bien les lire avec le paysage qui va avec.

Photo 2: Belle rencontre…
Photo 3 : Dans la jungle…
Photo 4 : Au gré des routes que nous avons empruntés…

Le parcours aura été néanmoins de toute beauté car une grande partie se situe dans la forêt tropicale humide. L’exubérance et la luxuriance de la végétation, la taille impressionnante de certains arbres, le rouge des balisiers qui vient contraster avec toutes le nuances de vert n’ont cessé de nous impressionner et nous dépayser. Il est vrai aussi que la canopée nous a protégé tout du long à la fois du soleil mais aussi de la pluie (même si nous avons du parfois mettre les ponchos.). Aussi, nous avons beaucoup plus subis l’humidité que la chaleur. Nous avons d’ailleurs les trois premiers jours marché souvent seuls et cela fut un des grands plaisirs de ce périple. La Montagne Pelée que je rêvais de visiter et dont je voulais faire l’ascension m’a également laissé une forte impression. Le cheminement pour aller au sommet est souvent très raide, comme souvent d’ailleurs les pentes sur cet itinéraire où nous sommes descendus dans le fond des vallées pour remonter juste en face. Et même si le temps ce jour-là n’a pas permis de jouir d’un panorama étendu, d’ailleurs nous n’avons presque rien vu depuis le sommet, l’itinéraire qui fait le tour de celui-ci par la caldeira nous offre une pluralité de vues et d’impressions sur la montagne et ses versants. Il faut bien aussi avoir en tête le fait que la morphologie du sommet et des différents versants a pu évoluer plusieurs fois de manière assez fréquente. En effet, les différentes éruptions ont modifié les sommets et par exemple le chinois qui est le sommet officiel a été édifié entre 1929 et 1932, et cette crise éruptive a déposé sur la Martinique en volume plus de matériaux que l’éruption tragique de 1902. Au niveau du deuxième refuge, avant cette éruption, il y avait comme le montre les anciennes et étonnantes photos un lac, le lac des palmistes. Avec l’éruption de 1929, les habitants des communes alentours s’éloignèrent de suite, et pour ceux de Morne Rouge, ils se sont rendus par le col Yang Ting vers Fonds Saint-Denis. C’est après cette crise éruptive que sera créée la route d’évacuation vers Fort de France (RN3).

Photo 5 : Sur la Montagne Pelée, le deuxième refuge… là-bas sur la caldeira. Le sentier qui file à gauche part vers Grand Rivière.
Photo 6 : Vue depuis le sentier qui va descendre vers Grand Rivière… La caldeira.
Photo 7: En redescendant vers Grand Rivière

Autant l’itinéraire de la montée par le versant de l’aileron est hyper fréquenté, autant celui de la descente vers Macouba et Grande Rivière, par le Morne Macouba depuis le deuxième refuge, est plus solitaire. Mais par temps humide, comme ce fut le cas, il vaut mieux être bien chaussé pour éviter de glisser sur les roches à nue du sentier ou dans les crevasses creusées par l’érosion due aux fortes pluies, au milieu du sentier. Certains passages sont d’ailleurs aménagés avec des cordes. Sur la bas du versant la pente se fait plus douce et à l’approche de l’océan atlantique, après être sortis de la forêt tropicale, nous avons longé par la piste les champs de canne à sucre. L’ambiance était plus douce, peut-être plus chaleureuse. Nous sommes alors passés devant l’habitation Beauséjour qui produit le rhum HBS pour déboucher sur Grand Rivière. Cette dernière commune donne une nette impression de bout du monde. Dans l’avant dernier virage de la route départementale qui arrive dans la commune et la surplombe, un sentier est indiqué qui descend en ville. Arrivés au bout de celui-ci, nous avons constaté qu’il y avait un panneau indiquant que le chemin était fermé, que c’était une propriété privée. C’est à ne rien y comprendre. De toute façon, au point où nous en étions, ce n’était pas important pour nous.

Nous savions que nous arrivions à l’hôtel Chez Tante Arlette. Nous avons été séduits par l’endroit qui est coquet, soigné, tout comme l’accueil qui nous a été réservé. Le serveur nous voyant complètement cuits, fatigués, nous a d’abord fait assoir pour nous offrir un jus de goyave. L’extase complète. Le repas du soir a été vraiment à la hauteur entre le poulet sauce batterie pour moi et le poisson aux écrevisses pour C., avec les accras de titiris en entrée et le planteur en apéritif. Nous y étions bien sous la galerie de la façade rouge tommette aux volets verts et encadrements blancs Si nous avons été très bien reçus chez Tante Arlette, il faut bien dire que l’accueil a été bon partout et chaleureux, chacun à sa manière. À Morne Rose (commune de Case Pilote), au refuge de Joël, nous étions seuls et tranquilles et Joël chaleureux et agréable, nous offrant une noix de coco fraîche avant de partir. À Morne Vert, chez Joan, nous nous sommes sentis chez nous et la chambre m’a paru coquette, pour le moins agréable et je dirais même romantique avec la grande moustiquaire au centre de la pièce et la fenêtre donnant sur le grand manguier et ses grappes de fruits encore un peu verts… Enfin à l’Auberge de la Montagne Pelée, nous avons apprécié les grands chalets mis à la disposition des clients, la gentillesse de l’accueil, et, et ça peut paraître paradoxal, le fait que la réservation puisse se faire juste par mail et retour de mail, en simple confiance. Voila, cette chaleur des Martiniquais, elle était aussi présente tout au long du parcours, avec la curiosité des conducteurs et très souvent un petit geste amical, par les discussions engagées par les riveraines souvent qui voyant Catherine marcher lui disait fréquemment avec leur accent que je trouve charmant

– Chéri, tu es bien courageuse!

Dans la première partie du parcours, pour les deux premiers soirs, nous avons du prendre des logements un peu plus bas dans la vallée ce qui ajoutait un temps de parcours parfois non négligeable, surtout le matin lorsqu’il fallait remonter. Mais l’arrivée à Morne Vert, en arrivant du Canton suisse par la route (mais à pied) fut presque enchanteur tant l’endroit nous a paru harmonieux formant un carrefour de routes avec au centre l’église, la poste, le petit supermarché Chez Julie. Le paysage rural ressemblait parfois à un immense jardin, avec la multitude d’arbres fruitiers, des pâturages… En continuant quelque peu sur la route nous menant au logement, nous avons pu admirer à l’heure où le soleil se couche cette silhouette du village rural martiniquais au pied des grands versants boisés et très raides des pitons du Carbet qui écrasaient les zones rurales alentours de leur puissance. Cette harmonie du paysage nous l’avons retrouvé le lendemain à Fond Saint-Denis. L’école dominait l’église et la mairie, ainsi que le beau monument aux morts avec son soldat noir en uniforme bleu de l’armée française qui montrait à quel point les Martiniquais avaient souffert eux-aussi des grandes guerres auxquelles la France avait participé et notamment la Première Guerre mondiale. Sur le sentier, goudronné, qui montait dans les hauts du village, une mygale matoutou dont l’abdomen était bleu (donc une juvénile car elle change de couleur au grès de l’âge) a tranquillement traversé devant nous, peu craintive visiblement. Nous aurons l’occasion d’en voir une autre sur le sentier de la caldeira à la Montagne Pelée mais pas davantage dans la nature. De nombreux crabes terrestres et des bernards l’hermite nous saluerons au passage. Les oiseaux comme le sporophile rouge gorge ou les colibris de la Martinique, noir et vert avec leur bec quelque peu courbé, qui venaient butiner dans les fleurs sont venus également égayer le parcours par leur grâce. Dans la dernière étape, le sentier du littoral traverse tout du long des espaces forestiers denses, dont certains sur les hauteurs pré-peléennes semblent être encore des noyaux primaires, c’est à dire encore jamais modifiés par l’activité humaine. Ce passage est ainsi, en l’absence de route entre Grande Rivière et le Prêcheur, un corridor écologique exceptionnel.

Photo 8: Des balisiers au coeur de la forêt tropicale…
Photo 9: Le monument aux morts de Fonds Saint-Denis
Photo 10: Une fin de journée non loin de Morne Vert avec le massif des Pitons du Carbet en fond…
Photo 11: De courageux et ici courageuses martiniquaises qui cultivent aussi dans des endroits difficiles. Ici entre le Morne Covin et Chapeau Nègre.

Les étapes furent finalement assez longues mais je n’indiquerai pas le temps de parcours précis car cela se faisait dans la journée. On peut conclure en disant que cet itinéraire reste difficile et qu’en l’état actuel des sentiers, je ne le conseillerais pas dans sa totalité. Nous n’avons pas toujours d’ailleurs suivi ces derniers car pour rejoindre les logements qui étaient plus bas (ou plus haut) dans les vallées, nous avons fini par suivre des tronçons de routes départementales. Les étapes ont été les suivantes:

1ère étape Jardin de Balata- Ancienne station thermale d’Absalon- Trace plateau Michel – Trace Duclos nord- Plateau de la Concorde- Morne Rose- Morne Caroline

2ème étape : Morne Caroline- Morne Rose- Grand Fond- Morne Gras- Morne Covin- Canton Suisse- (par les routes départementales) Morne Vert

3ème étape : Morne Vert- parking Morne Modeste- Fonds Saint-Denis- Col Yang Ting-(par les routes départementales) Morne Rouge (Auberge de la Montagne Pelée)

4ème étape : Auberge de la Montagne Pelée- Aileron- Montagne Pelée- Tour de la caldeira Grand Rivière

5ème étape: Grand Rivière- Anse Couleuvre (par le sentier du littoral)

Alors à l’issue de ce beau périple, il n’y a plus qu’à aller passer quelques jours à Saint-Pierre, intimement liée à la Montagne Pelée pour pouvoir la regarder lorsqu’elle se dévoile au détour d’une rue, d’une terrasse de restaurant ou tout simplement en beauté dans l’eau sur la plage… On pourra à ce moment-là ou plus tard lire les pages de l’écrivain martiniquais Raphaël Confiant Nuée ardente… Une grande partie des photos est de C.

Photo 11 : Vers l’arrivée du côté d’Anse Couleuvre…


 « Assez entrainée, je n’avais pas vraiment d’appréhension concernant cette traversée si ce n’est de devoir côtoyer les mygales et d’autres arthropodes XXL. La météo en ce mois d’avril était plutôt favorable : les températures agréables surtout les premiers jours lorsque nous étions en forêts et les pluies courtes mais régulières étaient au fond plutôt plaisantes et donnait un air exotique à la randonnée même si l’exotisme était présent à chacun de nos pas. La végétation particulièrement luxuriante est impressionnante : pas un cm2 n’est laissé sans verdure avec le jeu des différentes strates. Des arbres au tronc énorme se dressent sur plus de 30m (certains dépassent même les 40m ) pour atteindre les rayons du soleil tandis qu’une multitude de plantes s’y ancre à tel point qu’on ne sait plus, depuis le sentier, lesquelles des feuilles aperçues correspondent vraiment au géant ! Lianes diverses, plantes épiphytes en tous genre telles des orchidacées, des bryophytes ou encore des ptéridophytes et parfois même des champignons. L’abondance des fougères (On compte 247 fougères indigènes en Martinique (Bernard 2015, dont certaines menacées Les Ptéridophytes), est impressionnante et la présence des espèces arborescentes donne un air de forêts du Carbonifère. A défaut de libellules géantes, nous avons eu la chance de voir des chauves-souris, des oiseaux divers dont le  joli sporophile rouge-gorge, curieux, qui nous a observé un long moment, des magnifiques matoutous (que j’ai presque fini par trouver sympathique malgré ma phobie), des crabes toutes pinces dressées au milieu des chemins, des Bernards l’Hermite  de compétition par dizaines entre Grand Rivière et Anse couleuvre, un magnifique iguane à la queue interminable, des millepattes de tous genres dont un énorme (bien 30 cm !!) sur la terrasse d’un restaurant. Cette richesse écologique me fait oublier aujourd’hui la difficulté de certains passages, notamment l’absence de marquage et d’entretien de certains sentiers (avec de la végétation de près de 2m de haut !)  ou encore la difficulté technique de certains passages dont l’escarpement en plus du revêtement rendu glissant par la pluie (et mes chaussures inadaptées) m’a fait revoir par plusieurs fois l’assurance que j’avais pu avoir quant à mon entrainement. Des complications qui rendent le massif de la Montagne Pelée plus authentique et du coup plus enchanteur encore. » (C.)

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